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Dans une autre vie, l'homme a été un des managers les plus courus de la place luxembourgeoise et du monde agité de l'audio-visuel européen. Cependant, une fois l'heure de la retraite sonnée et qu'il a quitté son poste de directeur général de Radio-Télé-Luxembourg, Gust Graas s'est entièrement consacré à la peinture, passion qui le taraudait depuis toujours et à laquelle il va donner corps dès le début des années 50.

Aujourd?hui, cet allègre nonagénaire à l?allure de gentleman, est une figure respectée de l?art au Grand-Duché. Né à Esch-sur-Alzette en 1924, Gust Graas va subir les affres de l'enrôlement de force à la Wehrmacht, il réussit cependant à déserter. A la libération, il commence ses études de droit à Louvain et les termine à Paris. Parallèlement à sa carrière professionnelle, Gust Graas mène une deuxième vie consacrée à la pratique de la peinture et de la sculpture.

Installé dans le quartier Belair dès 1952, il y réalise ses premières ?uvres figuratives. A l?époque, il aimait, avec une certaine insolence et une bonne dose d?humour, fixer sur la toile, les attitudes et les habitudes de ses concitoyens. La cohorte de séminaristes qu?il nomme aujourd?hui «les pingouins» est un tableau caractéristique de cette période. Nous y ressentons la grande aisance du trait car l?artiste est un habile dessinateur et déjà une audace dans le chromatisme. Dans le même esprit, «Les nonnes» avec leur cornette immaculée qui leur mange le visage, toile du milieu des années 60, peut être appréhendée comme la transcription d?un regard amusé sur les us et coutumes de la ville mais également comme l?hommage d?un artiste qui a toujours été un homme foncièrement religieux pour qui la peinture est une prière quotidienne grâce à laquelle «Il monte au créneau pour parler de Dieu et à Dieu.»

Au fil des années, la facture de Gust Graas va de plus en plus s?orienter vers une libération des formes et des couleurs, particulièrement lorsqu?il découvre la technique du pastel. Ainsi, cette figuration dépouillée le mènera au début de la décennie soixante-dix vers l?abstraction (il recevra d'ailleurs le prestigieux Prix Grand-Duc Adolphe en 1970) avant d?atteindre l?apogée de son style actuel qu?il considère comme un «univers magique rempli de poésie».

Gust Graas est indéniablement le peintre de la lumière, de la passion et de la couleur. Imprégné par l'atmosphère luxuriante de l?île de Majorque où il va résider 15 ans, Gust Graas a fait naître de ses « années espagnoles » des ?uvres picturales inondées d'un riche chromatisme, de fougue, de liberté, rendues dans un geste impulsif et quasi-automatique lequel donne aux compositions une ambiance tenant autant de celle d'un univers chaotique que d'un jardin édénique.

Le peintre a toujours affectionné créer dans une grande spontanéité mais laisse nonobstant place à la concentration. En effet,  selon lui, seul un esprit concentré mène à des visions épurées et surprenantes, entraîne le spectateur dans un monde de signes et de formes infiniment variés, qui chacun séparément ou en combinaison avec d?autres éléments ont leur propre vie, leur expression, leur valeur.

Si Gust Graas privilégie le vocabulaire abstrait, il s?autorise, depuis quelques années, un retour à la figuration. Cependant, celle-ci reste allusive, se résumant à une graphie et à la présence de silhouettes humaines stylisées et archaïsantes. L'équilibre palpable et la stabilité des forces et des énergies des compositions de l'artiste  naissent de cette réelle présence des formes qui se lisent comme un alphabet cabalistique. Au premier abord, ses ?uvres peuvent nous leurrer par leur apparente séduction. Pourtant, si nous nous y abîmons avec attention, une grande dimension métaphysique et spirituelle s'en dégage. L'artiste rehausse son travail d'une portée sacrée couplée à l'expression de la joie de vivre, d'un optimisme naturel et surtout d'une espérance inébranlable.

Il y a la transparence de la touche, le jeu luministe abouti qui fait jaillir la lumière du moindre empâtement, de la moindre petite fissure de matière et se répercute en coulées, dans toute la toile. Il y a aussi, cet éloge à une nature généreusement ouverte, allègre, chatoyante, épanouie qui se meut parfois en véritable éden.

Assurément, Gust Graas fait de son acte pictural, le vecteur de sa quête de la vérité. Hegel disait: «Le beau est l'éclat du vrai.» Ainsi, le peintre va vers le vrai et l'essentiel. Ses créations nous mènent de façon poétique vers des paysages intérieurs, vers son tréfonds et ses états d'âme si, un tant soit peu, nous prenons une pause devant chaque ?uvre afin de lever le voile des couleurs, des signes et des formes et d'aller à la recherche de leur signification profonde.

Nathalie Becker

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